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Lettre de Valentine de Wismes adressée à Mme de Laborde Lassale née de Navailles, aux Eaux-Bonnes (64)

[La transcription peut comporter des erreurs]


Madame de Laborde Lassale
née de Navailles à
aux eaux bonnes
St Sever
Landes

basses pyrennées



Mt Dore Dimanche 6 Aout 1843.

Ma pauvre chère amie, vous aurez bien pensé j'espère que j'ignorais votre profond malheur en ne recevant point le plus petit mot de moi qui suis toujours si tendrement occupée de vous. Pauvre femme que vous êtes donc éprouvée en cette vie. Tout ce qui semblait vous en assurer une si heureuse, après toutes les inquiétudes et préocupations de votre jeunesse vous est enlevé; mari et enfant ces deux liens qui soutiennent et consolent sur la terre en tant d'occasions les voilà rompus si soudainement et vous restez seule pour supporter ces peines si vives. Je ne viens point certes essayer de vous consoler, chère Caroline, car je ne vois pas trop quelle parole humaine je pourrais vous dire pour cela. Il n'y a bien qu'au ciel qu'il puisse y en avoir de ces paroles qui calment le trouble et l'amertume du coeur dans un malheur tel que le vôtre et j'ai sû avec douceur que vous supportez avec une énergie toute chrétienne, comme me le mande Mme de Dampierre, votre croix si lourde. Quand la piété ne soutient pas le coeur et n'offre aucune ressource j'avoue que je ne comprends jamais ce qui peut calmer dans les afflictions, et je bénis bien Dieu en sachant que c'est lui-même qui vous console. Je sais bien peu de détails; une fièvre typhoïde, une grande rapidité et une mort bien chrétienne et dont il ne s'est pas laissé effrayer. Mon Dieu qu'il a fallu peu de temps pour changer toute cette nouvelle existence dont vous jouissiez tant. Dans ma dernière lettre de la fin de Mai, je me réjouissais tant avec vous du bonheur que vous trouviez dans la vive affection de Monsieur de Laborde, j'étais si heureuse de votre bonheur; sans cesse me venait à la pensée cette joie si paisible et si solidement fondée dans laquelle je vous voyais. Et bien, très chère, toutes ces joies n'ont donc fait que traverser un instant votre coeur et le voilà actuellement si serré par la douleur. Si j'ai si souvent regreté de ne vous point voir, c'est bien plus encore maintenant que j'aurais voulu vous embrasser et vous dire combien je vous aime. J'espère que vous avez près de vous des amies qui vous soignent, vous entourent, vous laissent librement épancher votre coeur, mais ne croyez pas que mon éloignement doive mettre la moindre réserve dans la manière de vous exprimer et que je comprenne moins tout votre abandon. O non certes notre séparation si longue ne change rien à ce que seraient mes sentiments pour vous sans cela; elle les mèle seulement de regrêts sans-cesse renaissants. Quand je pense que ce n'est que par lettres que nous nous sommes parlé de tant de choses depuis plusieurs années et que cependant je suis si associée à toutes ces choses je sens bien à quel point l'amitié est une chose forte. Jamais je n'aurais pu croire qu'à mon âge j'aurais à m'attrister sur une amie déjà veuve. Pauvre Caroline, quels cruels moments vous aurez passé ! Qu'êtes vous devenue après ce coup affreux ? Etiez vous seule alors, et avec qui êtes-vous maintenant ? Si vous éprouvez du soulagement à me donner des détails et à me parler de celui que vous pleurez, vous savez combien j'y prendrai part; mais si cela vous est plus pénible ne le faites point; mon amitié vous jugera bien de toutes manières. C'est par Mme de Dampierre (Charpin) que m'a été confirmée cette triste nouvelle. Il y a un peu plus de 15 jours en arrivant de Lorraine à Paris avec mon père et Thérèse, Isaure qui venait de l'apprendre par Mr de Guébriant ami des Dampierre me l'apprit avec précaution sachant la peine que j'en éprouverais. Je ne pus le croire et pensai que Mr de Guébriant aurait fait quelque confusion; j'écrivis à Mme de Dampierre à la campagne près de Paris; Elle était à Sens, nous, nous partions 3 jours après tous ensemble pour les eaux du Mt Dore et ce n'est qu'hier que m'a pu parvenir sa réponse. Elle est bien occupée de vous; elle me mande qu'il y a environ 6 semaines. Il m'a été impossible de vous écrire hier et aujourd'hui l'heure de la poste est passée; ma lettre ne partira donc que demain 7 Aout. Calculez si d'après le temps qu'elle mettra à vous parvenir vous avez la possibilité de me répondre içi où ns sommes jusqu'au 15 ou 18 Aout; mais que votre lettre n'y arrive pas plus tard que le 15 ou le 16, car ensuite serait trop incertain. Je tiendrais bien à recevoir içi de vos nouvelles, car nous courrons après les grandes routes pendant 15 jours environ avant d'être pôsés pour deux mois en Vendée chez ma cousine de Cornulier. En partant d'içi, nous allons coucher à Clermont, puis à Bourges, à Tours et de là par les bateaux à vapeur de la Loire jusqu'à Angers; nous nous arrèterons je crois plusieurs jours, soit à Angers, soit dans un chateau qui en est à quelques lieues, chez mes parents d'Andigné; puis irons à Nantes encore par eau, et de là au chateau du Bois-Corbeau. Vous pouvez m'y adresser votre réponse à partir du 1ier septembre (chez Mr le Vte Victor de Cornulier. Chateau du Bois-Corbeau par Montaigu Vendée) si c'est içi (hotel Boyer. aux eaux du Mt Dore par Clermont Ferrand. Puy de Dôme) Ma mère est venue prendre les eaux pour des douleurs de rhumatisme et il fait malheureusement dans ces montagnes d'Auvergne, comme au reste partout cette année, un temps bien contraire. Nous sommes au milieu des nuages et de la pluie, il y a fort peu de monde et nous n'y avons trouvé personne de connaissance. Je crains que votre soeur n'ait eu aux eaux Bonnes ce même temps froid et humide. Donnez-moi de ses nouvelles. Comme je voudrais vous savoir satisfaite sur son compte, pauvre amie, Et vous-même, comment se trouve votre santé après de si violentes secousses. Soignez vous pour vos amies et ne vous laissez pas aller à une trop grande indifférence sur votre compte. Vous êtes encore chère à bien des gens. Quand donc nous verrons-nous ? mais je n'aurai pas joui par mes yeux de votre si court bonheur; je n'aurai pas connu celui qui a été si promptement enlevé à votre amour, et dont le souvenir vous est maintenant si déchirant. Mon Dieu que le bonheur est donc râre sur cette terre; il y a si peu de gens qui s'aiment véritablement et la mort semble plus emprèssée de les séparer. Que d'êtres chéris vous avez déjà au ciel; Comme vos yeux s'y doivent souvent porter; mais quoiqu'on fasse on retombe encore souvent sur soi, n'est-ce pas, et on se trouve bien isolée. On cherche bien à se dire qu'il faut se réjouir pour ceux qui n'ont plus rien à souffrir, mais involontairement on trouve bien lourd le poids que l'on reste seule à supporter. On se redit chaque jour que la vie, c'est un espace bien court à parcourir, et il semble que chaque jour on le trouve plus long. Vous voyez, très chère, je ne vous console guère; c'est que je ne sache rien à vous dire de consolant, autre que la douceur de savoir souffrir pour Dieu et mettre en lui des affections qui jamais ne seront brisées. Je le prie et le prierai sans cesse pour vous; je crois qu'une amie ne peut rien donner de mieux à son amie qu'une prière. Adieu; il faut que je vous quitte pour [manque] pas mettre de retard à ma lettre et [manque] pas apporter par là à votre réponse [manque] Les miens sont bien occupés de vous, comme vous pensez et qui ne vous plaindrait de toute son âme. Parlez de moi à Mathilde, et écrivez-moi je vous en prie. C'est peut-être indiscrèt de vous le demander mais je ne puis m'en empêcher. Mme de Dampierre vous croit me dit-elle à St Sever. Je vais y adresser cette lettre. Et votre habitation qu'elle doit être devenue pénible. Adieu. Voici la poste. Je vous embrasse avec une bien profonde tendresse

Valentine de Wismes.