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Lettre de Clarice adressée à Eugénie Fourcade, à Bayonne (64)

  • Date: 21/06/1835
  • Lieu: Tabanac (33)

[La transcription peut comporter des erreurs]


Monsieur
Monsieur Arnaud Fourcade Négt
rue Mayou N° 58.
Pour remettre à Made Eugénie Fourcade
Bayonne.



Tabanac le 21. Juin 1835.

Ma chère Eugénie, Ta lettre m'a fait du bien, elle est venue dissiper les inquiètudes que j'éprouvais au sujet de ta santé, car je craignais pour toi les fatigues d'un aussi long voyage. Je vois avec plaisir que malgré les petites contrarietés survenues à Castres, et à Bazas vous êtes heureusement arrivés à Bayonne. Là cependant le bonheur que tu as ressenti d'être dans ta famille a été troublé par la perte d'un oncle, et il est bien vrai de dire que, la joie est toujours bien près de la douleur; cependant tu m'assures que tu es mieux, et j'ai la douce espérance qu'à la réception de cette lettre tu seras parfaitement rétablie; je n'ai pas besoin d'ajouter que je le désire sincérement, tu me connais assez pour être fixé depuis long temps à cet égard. Comprends-tu bien aussi, ma bonne amie, le charme qui se rattache à cette pensée: Eugénie sera à Bordeaux au mois de Septembre ! je t'assure qu'elle s'offre sans cesse à mon esprit, et comme si le tems n'allait pas assez vîte je voudrais hâter cette époque; ingénieuse à me tourmenter, parfois il m'arrive de craindre d'être encore prévenue trop tard. Je t'en conjure de nouveau, chère Eugénie, fais en sorte que ta lettre me parvienne avant ton passage dans notre ville, et compte sur mon empressement. Tu sais aussi que si tu pouvais t'arrêter ici ce serait encore mieux, et si tu y consens je te promets d'aller t'attendre à Castres, ou à Langoiran, si tu prends le bâteau à vapeur, Enfin arrange tout au profit de l'amitié.
Je ne suis point surprise de ton émotion en appercevant les Pyrennées, on respire si bien dans le pays qui nous vit naître ! on y retrouve de doux souvenirs; de ces souvenirs qui se rattachent au premier âge, et qui font battre le coeur délicieusement. Je te sais bon gré de l'accueil que tu as fait à notre vilain gascon, il est si désagréable à l'oreille, si dur, qu'il ne mérite pas tant d'honneur et j'avais toujours pensé qu'après avoir été éloigné quelque tems de Bordx les premiers mots patois causaient une impression défavorable. Il faut être né sur les bords de la Garonne pour supporter cet accent. Il me semble qu'il n'en est pas de même du basque, et le peu que j'ai entendu m'a fait plaisir. Tu as du trouver du changement dans notre ville, les arbres de Tourny sont arrachés, les environs des bains s'embellissent chaque jour, notre salle de spectacle a été réparée, enfin tout a changé depuis quelques années. Le carnaval dernier fut très brillant et j'ai vu bien des personnes vraiment fatiguées de bals. Pour moi, j'ai passé six semaines à cette époque chez Mme Carrié, et malgré ses instances et son exemple, je n'ai pu me résoudre à la suivre dans le monde. Cependant ne crois pas, Eugénie, que je sois devenue sombre et misanthrope, non vraiment, j'aime la societé, mais une societé intime. Adèle à son tour voulut rendre les politesses qu'elle avait reçues, et cette fois il fallut s'occuper de sa toilette, et ne point parler de partir, je cédai de bonne grace, m'amusai beaucoup et cependant je revins à la campagne, non seulement sans regrets, mais même avec grand plaisir. Mes soeurs sont aujourd'hui de grandes demoiselles et il régne entre nous une affection bien tendre. Tu sais que je me suis un peu occupée de l'éducation des deux qui viennent après Blanche, les soins que je leur ai donnés n'ont fait que resserrer les liens qui nous unissent. Leur confiance, leur amitié me dédommagent aujourd'hui de ce que j'ai fait pour elles, et c'est toujours dans ma famille que je goûte les jouissances les plus douces.
Je te félicites d'avoir trouvé ton Père & ton frère en bonne santé, ignorant depuis quelque tems, tout ce qui te concernait, je n'avais point osé t'en demander des nouvelles. Je compte sur ta complaisance pour présenter mes respects à ton Père. Je suis bien sensible au souvenir de Mr Fourcade et te prie de ne point m'oublier aupres de lui
En passant à Mont de Marsan as-tu vu la famille Marrast ? Parle moi un peu de Clara. Il me semble qu'elle était séparée de son mari. Triste existence ! Peut-être n'a t'elle rien de grave à se reprocher, mais une legereté, une [inconseq... manque] suffisent pour bouleverser l'avenir & détruire le bonheur [manque] l'existence entière. Le témoignage de la conscience ne suffit point à une femme, il lui faut encore obtenir l'estime & la considération du monde, et pour cela observer scrupuleusement toutes les bienséances. Qu'est devenue Julia ? est-elle mariée ? Parle moi aussi, ma bonne amie, des personnes de Bayonne qui etaient chez Mme Labory en même tems que nous.
Adieu, ma chère Eugénie, je me livre sans contrainte au plaisir de causer, & tu me le pardonneras car il y long tems que j'en étais privée. Réponds-moi quand tu en auras le loisir & que tu pourras le faire sans te fatiguer. Pense à moi, aime-moi et compte sur les sentimens tendres & affectueux que tu as su inspirer à ton amie

Clarice

Mon Père t'offre ses hommages respectueux, le reste de ma famille mille choses amicales