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Lettre d'Agny Castandet adressée à M. Castandet, chez l'ambassadeur de France, à Berne (Suisse)

[La transcription peut comporter des erreurs]


A Monsieur
Castandet avocat, chez Mr le Marquis
de Moustier, embassadeur de France en Suisse
à Berne



St Sever le 11 9bre 1824

Vraiment, Mon cher Touton, la diplomatie est une belle chose selon moi, puisque c'est grace à elle que nous recevons, gratis, de tes nouvelles tous les huit jours ! qui nous eut dit que tu irais payer en Suisse, les dettes épistolaires que tu avois contractées à Paris ? car du train dont tu vas, je ne doute pas que tu ne les acquites toutes, oui toutes; voila ce qu'on gagne, dis-tu peut-être, à gater les gens, ils deviennent insatiables; en effet, Mon cher ami, tes lettres sont pour nous, je puis dire surtout pour moi, l'objet constant ou d'un vif désir ou d'une vive jouissance ! parce que j'y trouve d'abord, la preuve que tu es assez bien portant puisque tu peux écrire, toujours celles de ton amitié et souvent celles de ta confiance; bien précieuses à mon coeur, qui, je puis te l'assurer mérite ces sentimens de ta part, par ceux qu'il t'a spécialement voués. Maman avoit le projet de répondre à la lettre que tu lui adressas le 26 du mois der, mais comme celle que tu m'écrivis le 2 cnt me parvint hier, je me suis emparée desuite de ce soin-là, sans préjudice à l'intention de maman de t'écrire plus tard à son loisir, afin d'imiter cette activité qui nous plait tant en toi; mais nous ne sommes pas comme toi protégés par les bureaux diplomates; il est bien domage qu'ils ne t'indiquent pas aussi qu'elque moyen économique, pour les missives adressées au Gouverneur, de l'embassadeur en herbe ! mais si leurs bureaux te favorisent leur table à bien failli t'être funeste, oh je renonce totalement à la vaisselle plate ! il est vrai que pareil évènement m'est arrivé par l'effet du cuivre, allons j'obte comme toi pour la fayence de samadet ou celle de castandet qui n'a rien de dangereux; sérieusement tu es heureux d'en être quitte pour si peu, surtout avec les suplémens que ton suranné docteur montagnard, t'a administré, nous espérons que tu es bien retabli ainsi que tous ceux qui furent atteints, même Mde la Mse, qui d'après ce que tu dis, s'en ressentoit encore quand tu m'écrivois. ici tous ceux qui t'intéressent particulierement, se portent bien; quelques rhumes annoncent par ci par là la saison qui me paroit effrayante dans le pays que tu habites; tu ferois fort bien, et tu seras forcé je pense, d'ajouter à ton carrik & c. des bas de laine du moins quand tu sors, car il faut sans doute, être en présence des Miladys en tenue de rigeur de pied en cap; tu as beau dire que tu n'en as que la vue quand elles ne sont pas du tout mal c'est encore quelque chose; s'ert-t'en bien pour observer, pendant que ta langue doit être un peu moins active, afin que celle-ci, prenne sa revanche dans la suite, en nous racontant les remarques de l'autre. il nous est facile de faire, d'après tes lettres, celle que toutes les tiennes ne sont pas toujours en faveur de ta position; mais ça changera ou tu en changera, s'il le faut, comme te le dit l'exellent ami Mr Laurentie; et comme tu le dis toi-même, si ta place n'est que provisoire, elle est du moins bien favorable pour attendre, relativement à la triste attente que tu subis avant de l'accrocher. Je vis par ta dere que celle que je t'écrivis le 28 du mois passé ne t'étoit pas encore parvenue le 2 cnt; je t'annonçois dans l'article confidentiel (mais presque incompréhensible tant j'etois pressée) qu'elle contient, que je te récrirai sans tarder de toi à moi seulement, dabord cela ne m'a pas été bien facile, et puis je m'apperçus dans ta lettre à maman que tu étois un peu tranquilisé par les nouvelles de Laurtie et l'apparence de votre retour prochain à Paris, cependant je m'occupois hier à effectuer mon projet, et j'avois une partie de ma lettre écrite, au moment où on m'apporta la tienne, qui confirma mon pressentiment que tu t'es un peu encouragé; je déchirai desuite mes harangues secretes, et déclarai à maman que je te répondrai aujourd'hui, persuadée que je pourrai bien ainsi en glisser quelqu'une sur le même ton; elles ne te plaisent peut-être pas trop; car mon langage à cet égard n'est guère dacord avec le tien : mais je te dirai ce que tu me dis, s'il m'échapoit quelque chose de désagréable crois que mon coeur en est innocent; et que toujours ses voeux les plus ardens sont pour ta tranquilité, ton bonheur, et ses intentions d'y contribuer par les conseils qu'il me dicte, et les secours de l'amitié la plus sincère, s'il est incapable de t'en donner de plus efficaces; continue donc, Mon ami, de t'y confier, et sans vergogne; car on est quelque fois honteux de ces sortes de faiblesses; encourage-toi en tout et pour tout, fais tes efforts pour éloigner ces exès de méfiance, et espérer, si non sur toi-même, totalement, du moins sur les circonstances les protections, qui peuvent survenir, et qui favorisent si souvent de bien plus indignes sujets. à propos de faveurs le gouvernement, qui dis-tu en prodigue tant à certaines gens, réserve bien ses rigeurs pour d'autres, nous sommes souvent de ce nombre, et dans ce moment il éxige ainsi que l'année dere mille ennuyeuses formalités pour nous payer 100 f. d'un loyer d'une partie du magasin de péré qu'il occuppé, malgré ta procuration à maman, il veut ta signature à la quittance, et comme tu n'es pas derrière la porte, c'est assez difficile; celui qui la donna pour toi l'année passée n'y est pas non plus (c'étoit Marrast) je te préviens donc qu'on y supléera encore, afin que si jamais tu étois à même de le faire, tu approuves ou [palie?] le tout conformément à ce qui s'est fait.
Cadète a reçu ta lettre avec un bien sensible plaisir, si j'en juge par les témoignages d'amitié qu'elles me donne pour toi à cette occasion, ainsi que de la part de ses parens; elle paroit toujours bien chagrine de notre séparation et je la crois sincère autant qu'affectueuse dans ses sentimens pour nous, je ne saurais assez t'exprimer, ceux qu'elle me charge constament de te transmettre, dans son aimable correspondance avec moi; son père paroit se remettre fort bien depuis son arrivée à Montauban.
Nous avons eu 2 jours le Général Durrieu à la maison, il nous parla de toi avec intéret et amitié; c'étoit avant la reception de la lettre où tu nous parles de lui, à l'occasion de ton diner avec notre ex maire (qui du reste repart pour Paris, et a offert derement ses services pour toi à Tétein, qui lui apprit alors que tu en es absent) Tétein fut hier à la rivière mais il n'y trouva pas le général; il se propose de repartir ces jours-ci pour Bne où sans doute il trouvera la lettre que tu dis lui avoir écrite; tu auras vu dans ma dere que je devinois à peu-près, sur quelques mots qu'il m'avoit vaguement laché (prévoyant peut-être que j'en serois informée par toi) ce qui se passoit entre vous; j'en suis bien peinée; mais j'espère d'après le sage parti que tu as pris, en lui écrivant avec calme et douceur, que ces mal entendus seront finis; je crois comme toi, mon bon ami, que son coeur n'est point du tout mauvais au contraire, et qu'il ressent pour toi l'amitié qu'il t'a souvent manifesté : mais il est d'un naturel suseptible et brusquement sensible; qui le rend promt, extrême, et quelque fois dur dans ses expressions, comme dans ses jugemens pour ceux même qu'il affectionne; c'est surement ici le cas; et c'est aussi celui, où le caractère que la nature a favorisé d'une trempe plus patiente et plus souple; doit s'en servir pour tout applanir et consilier de pareils differents, toujours pénibles pour ceux qui les éprouvent, et souvent facheux entre deux [manque] le plus jeune bien qu'il soit innocent, peut donc céder sans paroître coupable et le doit même, quoiqu'il aie du mérite à le faire; tu vois, Mon cher Touton, que je connois assez bien mes gens, j'apprécie je t'assure les qualités de chacun, je rends justice aux bons sentimens de tous; je puis sans doute en éprouver quelqu'un de préférence (que je n'avouerai qu'à toi) mais ils ne sauroient m'inspirer d'autres conseils que ceux qui peuvent continuer ou rétablir l'union la paix et l'amitié, qu'à coup sur nous desirons tous faire régner parmi nous. j'espère donc que ces petits nuages vont se dissiper totalement; tiens-moi sur les avis à cet égard; car tu penses bien que je serai intriguée sur les suites de votre correspondance, ne fut-ce dailleurs que pour me conduire, ou conduire les circonstances qui pourront y avoir quelque rapport, si je pouvois du moins contribuer à les rendre favorables
Adieu, Mon bien cher Touton, continue à nous écrire souvent je te promets, que j'en ferais autant, la chère maman, que tu fais bien jouir ainsi, t'embrasse et t'aime, avec la tendresse que tu lui connois Tétein et l'oncle abbé te font leurs amitiés, ainsi que les nombreux parens amis et connoissances; et ta bonne soeur te chérit toujours sincèrement, tendrement, et est ta meilleure amie.

Agny

P.S. Thérésine, le Père Lalande et ta marraine, veulent toujours et meritent mention particulière dans les amicales souvenirs qu'ils t'envoient.



Du 11 9bre 1824
R.