A Monsieur
Monsieur Antoine Supervielle
à Bidos
Mon Cher ami, quelle fâcheuse indolence nous empêche de nous écrire ? que nous sommes paresseux ! comme nous remplissons mal à notre engagement ! comme nos promesses sont vaines ! non, tu n'es pas pardonnable : chaque jour j'attends de tes nouvelles, & chaque jour s'écoule sans que j'en reçoive aucune : toujours j'espère, et toujours mes espérances sont trompées. Mais peut-être, es-tu dans le même cas que moi (car les mêmes obligations existoient pour l'un et pour l'autre) peut-être attends-tu que je sois le premier à t'écrire. Si tel est le motif qui t'a retenu jusqu'à présent; je me tais. Ah! je suis loin de te faire un reproche que tu ne mérites pas. Je le vois maintenant, je suis le paresseux; il ne m'en faut pas d'avantage, je prends la plume pour rompre ce silence qui se prolongeroit un peu trop. Oui, mon cher cousin, j'ai tort, j'en conviens : mais je croyois qu'en amitié, on ne comptoit pas si scrupuleusem
t je croyois qu'entre amis, on agissoit avec plus de franchise, & qu'on observoit moins rigoureusement les rêgles de la correspondance. J'ai tort encore; puisque tu peux me faire le même reproche; je n'aurois pas dû faire attention à des convenances qui ne sont d'usage que parmi des personnes qui ont des affaires d'une grande importance, ou bien qui ne s'écrivent que par civilité.
Dès ce moment, je te propose ce défi : à qui sera le plus exact ?.... Si tu l'acceptes, de mon côté, je te promets de ne pas me faire tirer l'oreille : je n'aurai pas de plus grand plaisir que celui de m'entretenir avec toi. Parle-moi de tes plaisirs & de tes peines : fais-moi part de tes intrigues : tu me parleras aussi quelquefois de l'abondante récolte qui semble déjà s'annoncer : tous ces détails m'amuseront, & me rappelleront les moments heureux que j'ai passés auprès de toi & de ta famille.
adieu, mon Cher antoine, je t'embrasse de bien bon coeur : mes amitiés à mon Cher oncle, à mes chères tantes, & aux bonnes cousines Victoire & Euphrasie.
Ton cousin & ami,
L. Baulet |